Depuis le 15 janvier dernier est ouvert au Comœdia à Brest une exposition-vente sur le thème de l’Afrique d’une envergure inédite en Bretagne. Intitulée VISIONS D’AFRIQUE, elle entend lever le voile sur la richesse et la diversité d’un continent au potentiel artistique encore trop méconnu. Au programme, 23 artistes, africains, franco-africains et français sont actuellement représentés dans la galerie. Unidivers a eu l’opportunité de parcourir les quelques 140 œuvres exposées et disponible à la vente en compagnie de Lucille Fontaine, chargée d’exposition du Comœdia.
Si vous êtes de Brest, on ne vous fera pas l’affront de vous présenter le Comœdia. Pour nos autres lecteurs en revanche, une petite visite de l’établissement semble nécessaire avant de plonger dans la frénésie artistique qui s’y déroule. Théâtre construit dans les années 1950 devenu cinéma d’Art et Essai, le Comœdia fut longtemps considéré comme le poumon culturel de la cité du Ponant. Sa fermeture en 1991 laissa un grand vide dans le cœur des Brestois.
À l’abandon pendant près de 30 ans, le mythique établissement finit par ouvrir à nouveau ses portes en 2019 après d’importants travaux de rénovation. Si l’architecture et les décors du bâtiment furent conservés, son intérieur fut remanié afin de mettre en lumière une scénographie de 400 m2 qui se prête aujourd’hui à l’exposition et à la vente d’œuvres d’art contemporain.
L’entrée du Comoedia, 35 rue du Château à Brest.
Photo : Thomas Godin
L’antre lumineuse du Comœdia accueille aujourd’hui VISIONS D’AFRIQUE. À l’origine dudit événement, il y a l’étincelle provoquée par l’exposition Beauté Congo à la Fondation Cartier en 2015, à laquelle assiste Adeline de Monpezat, la responsable de la galerie brestoise. L’idée de célébrer l’Afrique à travers les regards croisés d’artistes issus de différents horizons sonna alors comme une évidence pour l’équipe du Comœdia.
Nous sommes tenus d’avertir d’emblée les amateurs de masques traditionnels, de statuettes et autres fétiches en tout genre : VISIONS D’AFRIQUE n’est pas une exposition sur l’Art Africain, du moins pas tel que nous le concevons dans nos modes de pensée ethnocentriques. Si le thème de l’événement est le continent africain, son ambition première est de présenter différentes représentations forgées par des artistes animés par un lien particulier avec cette terre ô combien fertile.
Les artistes invités sont burkinabés, camerounais, congolais, béninois, togolais, ghanéens, sénégalais, mais aussi français et même bretons pour certains. Tous ont en commun d’entretenir une vision propre de l’Afrique qui est ici une substance, une matière que chacun pétrit et travaille comme bon lui semble. La multiplicité des points de vue est au centre de cette exposition qui n’est pas Made in Africa (fabriquée en Afrique), mais bien Made out of Africa (fabriquée à partir de l’Afrique)
Parmi les artistes représentés, certains sont nantis d’une renommée internationale tel Chéri Chérin ou Soly Cissé, qui, depuis déjà plusieurs années, se sont imposés comme des figures artistiques africaines incontournables. D’autres, comme Pierre Bodo, Bodo Fils ou Francklin Mbungu sont d’éminents ambassadeurs de la peinture populaire congolaise, un mouvement que l’exposition se devait de mettre à l’honneur. Sont également présents les figures de proue d’un Street Art en pleine explosion depuis la fin des années 1990, notamment grâce à la montée en puissance d’artistes comme Kouka Ntadi, dont la notoriété n’est plus à prouver. On ne saurait enfin oublier la présence d’artistes français tel que le graveur Thomas Godin, dont les gravures dévoilent un imaginaire sédimenté par des saveurs et inspirations venues d’Afrique, ou encore le sculpteur designer Vincent de Monpezat qui présente ses BlackMangas, têtes scarifiées proches des arts premiers africains, dissimulées derrière des masques clinquants, issus de la pop culture Manga japonaise. Sa série des Signes est quant à elle une réinterprétation de caractères dialectiques, tel un hommage aux milliers de langages qui parcourent le continent africain (photo ci-dessus).
Tous les supports sont par ailleurs représentés. En conjuguant les œuvres de Euloge Glélé, Jean-Yves André ou encore celles d’Abou Traoré, le Comœdia réaffirme sa volonté de promouvoir la sculpture, mais n’hésite pas aussi à s’aventurer sur le terrain de la photographie avec Benjamin Deroche, du collage avec 13Bis, de la céramique avec Marc Piano…
Les thématiques brassées sont diverses également. Certains se servent de leur double nationalité pour interroger la notion d’identité, comme le graphiste Ntadi dans sa recherche constante de ce qui fait l’essence humaine. L’Ivoirien Gopal Dagnogo conjugue mythologie et modernité africaine dans un torrent de symboles sur fond de satire sociale, quand le célèbre Almighty God fustige la culture de l’image imprégnée de modèles occidentaux qui étouffe le Ghana. Les cicatrices, les maux qui continuent de gangréner le continent sont prégnants, mais pas autant que sa richesse, sa vie et sa fierté, la même fierté qui exhorte le dessinateur Fred Ebami à construire son panthéon à la gloire des héros de l’Africanité.
Un mois seulement après son ouverture, l’exposition VISIONS D’AFRIQUE semble jouir d’un succès que Lucille Fontaine elle-même n’attendait pas. Le nombre de visiteurs ne cesse de croître et plusieurs œuvres importantes ont déjà été vendues. Au vu du succès de ces premières semaines, l’équipe du Comœdia a même décidé d’étendre la durée de l’exposition jusqu’au 24 Juillet (initialement prévue jusqu’au 3 avril). Férus d’art contemporain ou non, on ne saurait que trop vous conseiller d’aller vous perdre le temps d’une heure dans ce torrent venu d’Afrique.
Le Comœdia est ouvert le jeudi, vendredi et le samedi après-midi, ainsi que le reste de la semaine sur rendez-vous.