Comoedia. Renaissance d'un lieu mythique
Comoedia. Renaissance d'un lieu mythique

Comoedia. Renaissance d’un lieu mythique

Le vieux cinéma de la rue du Château, le Comoedia, fermé depuis 1991, va rouvrir ses portes à la fin de la semaine. À l’issue d’une longue rénovation, il va entamer une nouvelle vie : celle d’une galerie d’art.
Attention. Pour qui n’a jamais connu une projection dans ces murs, les premiers pas au Comoedia risquent de créer un certain émoi. Car cette salle ne connaît nulle comparaison possible en ville, pour sa splendeur un brin rococo, magnifiée par la rénovation extrêmement respectueuse menée par l’architecte brestois Pierre-Henri Argouarch : on pose bien ici les pieds dans une salle d’une autre époque, sur laquelle le temps n’a manifestement pas eu prise.Le bâtiment s’est dressé à l’angle des rues du Château et d’Aiguillon en 1949. Il est l’œuvre de l’architecte Michel Ouchacoff, qui avait également dessiné le Mac Orlan et l’Omnia, cinéma de la rue de Siam, aujourd’hui disparu. L’homme s’était associé à l’artiste Jean-René Debarre, qui a signé les fresques remarquables, comme cet imposant Poséidon au plafond de la grande salle, ou cette allégorie du théâtre sur la façade. Car, initialement baptisé « Théâtre de l’Onde », le lieu était d’abord un théâtre à l’italienne, avec sa scène, sa fosse d’orchestre et ses balcons, avant d’être transformé en cinéma d’art et essai, en 1962.

Un projet avorté en 2010
Ses amoureux ont dû trouver le temps bien long : l’établissement a en effet définitivement baissé le rideau en 1991. Depuis, la rumeur y a annoncé mille projets et nouvelles vies. En 2010, un collectif s’était même monté autour d’un ambitieux projet : racheter l’intégralité de l’immeuble, pour un faire un théâtre, accompagné d’un restaurant. Mais le coût de l’opération, alors estimé à 3 millions d’euros, a fini d’avoir raison de ce rêve.
En 2013, le bâtiment a commencé à reprendre vie : rachetés par un notaire brestois, les étages ont été entièrement rénovés en appartements de standing. Restait le rez-de-chaussée et ce fameux cinéma, fréquenté hier par tant de Brestois, dont l’un ne pouvait se résigner à le voir entièrement privatisé et fermé au public. Robert Lascar, le discret patron du groupe Omnium (Devred, Burton of London, Bouchara), passionné d’art contemporain et président de l’association Mécénat Bretagne, a donc décidé de passer à l’action. « On va ouvrir le lieu, à nu, pendant trois semaines. Pour que les Brestois puissent retrouver cette salle mythique, se la réapproprier. Je leur dois bien ça »
« Cela n’a rien à voir avec mes affaires, le business. C’est un projet personnel », expose l’homme d’affaires. Un projet affectif, presque, à l’entendre. « C’est un peu mon histoire. Quand on est arrivés à Brest avec mes parents, dans les années 50, on habitait rue Traverse. J’allais à l’école Jean-Macé, je faisais du patin à roulettes place Wilson… Et de temps en temps, mon père nous amenait au cinéma, ici, voir « Les trois mousquetaires » ou « Le train sifflera trois fois ». Ce lieu, quand j’étais gamin, me faisait quelque chose. Alors, quand l’opportunité s’est présentée… ».

« Cet endroit est un bijou »
Elle s’est formulée courant 2016. La transformation s’est dessinée « à quatre mains », avec l’architecte. Et sur un cahier des charges clair : « Toucher le moins possible au lieu, à son âme. Car c’est une salle mythique pour les Brestois ». Un an et demi de travaux (et « environ 1 million d’euros »), menés par des entreprises locales, ont été nécessaires pour lui redonner son lustre d’antan et changer sa vocation. La scène a disparu, la fosse d’orchestre est désormais comblée. Un ascenseur a été percé pour rendre l’espace accessible à tous. Mais les fameuses moulures sont intactes, les balcons préservés, et l‘ensemble désormais habillé de blanc et d’or, souligné d’un éclairage du meilleur effet.
« Oh, on ne fera pas des mille et des cents », prévient l’homme d’affaires au sujet des futures ventes. « C’était plus une question d’attachement sentimental et d’envie de rouvrir cet endroit, qui est un bijou. D’ailleurs, sans orgueil ni prétention, c’est beaucoup de fierté de l’avoir fait. Et toujours une émotion en entrant ici ». Une émotion bientôt partagée, sans aucun doute.
EN COMPLÉMENT

Une première exposition « à nu »
« Nous allons exposer des artistes contemporains, dont les œuvres seront à la vente », explique Robert Lascar, qui a créé une SARL pour piloter le nouveau Comoedia, avec une petite équipe salariée. « L’idée est d’exposer des artistes vivants, français ou internationaux ». Les œuvres seront accrochées dans la salle principale, mais aussi dans les anciens balcons du cinéma. « Et en parallèle, il y aura des expositions permanentes de sculpteurs ».
La première exposition sera présentée le 4 avril prochain. Et ce sera déjà un petit événement, puisque pour la première fois en France, depuis les années 1970, plus de 35 toiles d’Archiguille (François-Augustin Guille à la ville) seront exposées et proposées à la vente. L’artiste français, qui a côtoyé Braque comme Cocteau, a fondé sa propre école à Chicago, en 1958, et son mouvement pictural : la transfiguration. André Malraux l’avait même présenté comme « le peintre le plus doué de sa génération ».
Ouvert « à nu » pendant trois semaines

Cette entrée en matière augure d’une belle destinée pour le nouveau Comoedia. Pourtant, Robert Lascar avance avec prudence : « On en est encore aux balbutiements du projet, on n’a pas la prétention de jouer dans la même cour que le Fonds Hélène et Édouard Leclerc à Landerneau, en matière de rayonnement. Mais c’est intéressant de voir que l’on est installé à proximité des trois commissaires-priseurs brestois et du Carré des arts. Cela incitera peut-être d’autres galeries à s’installer dans le secteur. Quant à la clientèle, on sait que cela fonctionne beaucoup par Internet aujourd’hui. Mais on espère piquer la curiosité des amateurs pour qu’ils viennent jusqu’à Brest voir les œuvres ».
En attendant, le Comoedia va se présenter « à nu » aux Brestois. Du 7 au 23 mars, le public pourra découvrir l’espace rénové, entièrement vide. Seule la projection d’un diaporama mettra en scène le long chantier qui a vu la renaissance du site, permettant d’apprécier à sa juste mesure la qualité architecturale du bâtiment et le patrimoine que constituent les fresques très art déco de Jean-René Debarre. « Comme ça, les Brestois pourront retrouver leur salle, un endroit mythique ».

« Le Comoedia nu », ouvert du 7 au 23 mars, les jeudis, vendredis et samedis, de 14 h à 18 h. Entrée libre.

Un article à retrouver sur le site du Télégramme

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