Qui était le Breton Albert Mérour ? Peintre majeur de la scène surréaliste brestoise, il était de ces artistes hors du marché de l’art qui créait par pure passion. Ses mondes, tant fascinants que singuliers, s’étalaient sur les toiles avec nervosité, mais attention. Unidivers s’est entretenu avec Ronan Goulard, le fils de sa seconde femme Josette Goulard-Dargorn, elle-même artiste, à l’occasion d’une exposition hommage à la galerie Le Comoedia de Brest, du 30 juillet au 13 août 2022. Présentation de cet artiste méconnu.
Une exposition d’Albert Mérour, décédé en 2001 à Nantes, est un de ces événements exceptionnels de par sa rareté. La dernière exposition en date remonte à une dizaine d’années, la précédente, une vingtaine… La galerie d’art Le Comœdia à Brest rend hommage au peintre qu’il était, acteur majeur dès les années 60 de la scène surréaliste brestoise, mais aujourd’hui méconnu du grand public.
Née d’une promesse entre la directrice de la galerie et la femme du disparu, l’exposition rassemble une quarantaine d’œuvres qui, fait exceptionnel pour une galerie d’art, ne sera pas mise en vente. « Ma mère a suivi le vœu d’Albert avant sa mort de regrouper un maximum les toiles, qu’elles puissent être exposées, ensemble si possible, mais de continuer à faire en sorte qu’elles ne soient pas vendues », raconte Ronan Goulard, le fils de cœur d’Albert Mérour. Durant toute sa carrière, l’artiste avait en effet fait le choix de rester en dehors du marché de l’art. Il n’a jamais voulu vendre ses œuvres ou présenter ses toiles séparément. « Il peignait par passion, son but n’a jamais été de vendre ses toiles et de vivre de son art. » Depuis la disparition de Josette Goulard-Dagorn en 2013, les enfants ont pris le relais et respectent cette volonté à leur tour. « Albert a eu trois enfants assez tardivement. Ils ont une trentaine d’années. Ils ont vécu avec les toiles de leur père, mais ne l’ont pas connu à la période où il peignait. »
Né en 1942 à Plomodiern, Albert Mérour s’est formé en candidat libre à l’École des Beaux-Arts de Brest. Artiste prolifique, il a pour autant toujours travaillé en parallèle, que ce soit en Bretagne ou ailleurs. « C’était les années 60-70, on vivait en groupe de jeunes artistes, ma mère en faisait aussi partie. À Brest, il avait un local et peignait, et quand ils ont décidé de partir dans le sud, ils ont trouvé une maison », se souvient Ronan qui n’était alors qu’un enfant. « À cette période, il faisait des boulots saisonniers : il a travaillé à la vigne, dans les costumes et a été régisseur dans le cinéma. » Il a également été disquaire. Hormis des cadeaux à ses proches, il n’avait pas envie de se séparer de ses toiles, il ne pouvait pas. « La seule exception a été en 1981. Il a donné une toile à Amnesty International pour qu’elle soit vendue aux enchères et que les bénéfices reviennent à l’association. » Malheureusement, la toile a disparu sans être vendue… Cette position, peut-être marginale pour certains, explique la méconnaissance que nous avons aujourd’hui de son œuvre, mais écouter Ronan Goulard, c’est effleurer le rapport que l’artiste entretenait à sa peinture et comprendre sa décision.
Le peintre entretenait un rapport quasi trivial avec ses œuvres, il avait besoin de les voir. Il se donnait corps et âmes à ses toiles, son inconscient étant la source de sa création. « Il se déplaçait d’exposition en exposition », se remémore-t-il encore. « Je me rappelle, quand j’étais gamin, on avait les toiles de lin enroulées dans le fourgon et on allait en Belgique, en Yougoslavie, en Italie. On les déroulait, les mettait sur châssis et on exposait. » Le peintre était dans la création pure, dans le contact avec la matière, particulièrement la peinture à l’huile. « C’est un parallèle délirant, mais on ne fait pas des enfants pour les vendre. » Sa progéniture picturale était une partie de lui, car il laissait parler ce qu’il avait au fond de lui. En résulte un univers singulier surréaliste, une peinture vive et nerveuse. « Même aux Beaux-Arts, il a rapidement été sur un mode assez brutal, au couteau, avec beaucoup de peinture et de traits tranchés », poursuit-il avant d’ajouter : « C’était quelqu’un d’assez vif et brusque, qui envoyait du bois dans tous les sens ». Ce fort caractère se retrouve dans sa pratique, pour autant, il passait beaucoup de temps sur ses toiles, parfois un mois, voire plus.
Ses premières toiles réalisées au début des années 60 sont considérées par son frère, le poète Hervé Mérour, comme fauvistes. L’autoportrait Tête rouge (1964) et le Portrait femme aux cheveux roux (1963) sont autant de toiles qui montrent l’évolution de sa pratique avec les années. Car quand, à la fin des années 60, une véritable effervescence artistique naît à Brest, Albert Mérour s’approprie sa peinture et devient un acteur majeur de la scène surréaliste brestoise aux côtés d’autres étudiants des Beaux-Arts : Xavier Vasseur, Georges Roussel, Jean-Philippe Domecq, André Cariou ou encore Jean-Yves Brelivet, Michel Pagnoux et Bernard Jund. Il trouva en la personne de Suzanne Besson, une de ses anciennes professeures, un mentor si on peut dire, du moins une personnes qui l’a particulièrement accompagné les premières années. « Elle faisait aussi partie du groupe Phases [mouvement artistique né dans les années 1950 autour d’une revue éponyme, porté par des peintres, des poètes et des écrivains européens et latino-américains, ndlr.]. J’ai des recueils où elle y figure avec Albert », déclare le fils de cœur du peintre. « Elle lui a fait gagner du temps après les Beaux-Arts. Elle l’a aidé à exposer et l’a très certainement libérée à ce moment-là. »
La matière se fait alors moindre et il se laisse aller à une création plus personnelle, monde intérieur retranscrit sur des toiles de lin. C’est à cette période que naissent ses petits personnages aux allures de créatures venues d’un horizon imaginaire. Il explore son inconscient et retranscrit des pensées, « des visions », dans des improvisations picturales fouillées, tantôt paysages abstraits sombres, tantôt mondes hallucinés colorés. « C’est une peinture très rythmée, il écoutait pas mal de jazz à cette période. » Sa pratique prend par la suite un tournant dadaïste et ses influences se font diverses. « On est ce que l’on a ingurgité. Ce à quoi on a été exposé ressort sur la toile. » On retrouve des caractéristiques du symbolisme dans L’Épine Solaire pèse le fou père (1968), La Cabane aux joies (1969) ou encore Au Royaume de la Quintessence (1969). Puis, ses univers plongent dans la science-fiction. On pense en regardant Écrin d’écart (1970), Sougalmelisme (1970), Je mâche une machine (1972) ou Le Cerveau de l’homme (1972) à l’esthétique du cinéma expressionniste allemand. Notamment aux films du réalisateur allemand Fritz Lang, notamment Métropolis (1927), peut-être des réminiscences de son expérience dans le cinéma. Aussi, « dans les années 60, il a beaucoup aimé le dessin Philippe Druillet », fondateur du mensuel Métal Hurlant.
La poésie surréaliste, qu’il commence dès le milieu des années 60, devient toute aussi importante que la peinture dont il s’éloigne quelque temps. Il crée des jeux poétiques avec son frère Hervé, à l’instar du jeu d’énonciation poétique « Illo Mollo ». Ces deux pratiques ne vont pas l’une sans l’autre, des liens se tissent, des correspondances sont à découvrir. Il faut connaître les deux pour parler de l’ensemble de l’œuvre de feu le peintre. Les années 70 s’accompagnent d’un travail en collectif, sorte de « textes exquis ». « Les textes se faisaient ensemble, ils se renvoyaient la balle. En tant que gamin dans le groupe, je participais à ça aussi », se rappelle Ronan avant de confier : « C’était des jeunes artistes, ils étaient assez joueurs, ils inventaient des jeux avec des histoires de cases, de mises, etc. »
Toutes leurs références, clin d’œil à leur travail respectif ou autres poèmes surréalistes, transparaissent dans leurs écrits, et dans la peinture d’Albert Mérour. La Chasse spirituelle, un de ses derniers tableaux à la fin des années 80, fait référence au titre d’un faux poème de Rimbaud, écrit par deux surréalistes Akakia-Viala et Nicolas Bataille au début du XXe siècle. « Ils ont attendu un certain temps avant d’avouer qu’ils en étaient les auteurs pour voir les réactions que ça suscitait. »
Membre pendant un temps du groupe Phases, il s’en éloigne à un moment. « Dans mon souvenir, les membres de Phases étaient des personnes plus âgées qui étaient dans le surréalisme effectivement, mais il n’y avait pas le dynamisme que je pouvais voir du côté d’Albert et du groupe autour de lui. » L’enfant qu’était Ronan se souvient de l’émulation qu’y habitait les surréalistes brestois, de grands enfants qui s’amusaient de leur art dans une liberté totale de création. Il y avait son frère, sa femme, et quantité de peintres et musiciens qui ne formaient qu’un groupe. « Il y avait des contraintes avec Phases et Albert était quelqu’un qui n’avait pas envie de s’embarrasser. Il entrait dans les groupes, mais si ça ne lui convenait pas, comme disait un homme qui l’a connu dans les années 60 « il était pas commode » », s’amuse Ronan. « Il était aussi d’autres groupes en Belgique qui venaient nous rendre visite et chez qui on allait aussi. C’était toujours l’occasion de faire des jeux en écrivant des textes collectivement, en les lisant. »
Albert Mérour aura réalisé une centaine d’œuvres en moins de deux décennies. Il arrête les grandes toiles au début des années 80 et peint ensuite des petites miniatures, « mais c’est assez anecdotique. Il faisait des miniatures des personnages que l’on retrouve dans ses grandes toiles. » Toute sa courte carrière durant, l’artiste s’est inscrit dans une liberté créative pure et a fixé sur toile des images intérieures. Et comme un bel hommage, une association a été créée par la famille et porte le nom de la toile qu’il avait donné à Amnesty international, Port du double monde. N’ayant malheureusement pas les fonds pour ouvrir une fondation, la famille compte faire une donation à un musée pour que cette œuvre oubliée entre dans des collections et que l’artiste qu’il était soit ainsi réhabilité.
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