Qu’est-ce que la performance à Kinshasa ? Pourquoi a-t-elle une place si importante dans l’Art contemporain à Kin ? Que dénonce-t-elle ? Plongez au cœur du travail des « Performeurs de Kinshasa », ces artistes de la survie qui dénoncent et provoquent le pouvoir en place par l’Art.
« Système K », le spectaculaire au quotidien
Système K, c’est le système D à la kinoise, on se débrouille avec ce que l’on trouve à
porter de main, on invente, on crée à partir de rien. C’est aussi le titre du film
documentaire de Renaud Barret qui sera exceptionnellement diffusé au Cinéma Les
Studios en partenariat avec Le Comœdia le samedi 19 juin à 20h en présence de
l’artiste Eddy Ekete (l’homme Canette).
Si la scène artistique kinoise est bouillonnante et rayonne hors des frontières de la République Démocratique du Congo, faisant grimper la cote d’un bon nombre d’artistes congolais, la mégapole de 14 millions d’habitants n’en reste pas moins une fourmilière géante, où la misère et la pauvreté cohabitent avec le pouvoir et l’argent. C’est sur cette scène, ouverte sur la ville, que sont apparus les performeurs de Kinshasa, des artistes plasticiens, musiciens, danseurs et sapeurs qui ont choisi pour résidence les rues de la capitale et pour sujet d’étude, ses habitants.
La « Maison machette » créée par Freddy Tsimba à Kinshasa, dénonçant la pouvoir des armes en RDC.
Freddy Tsimba devant une de ses sculptures en matériaux récupérés dans la rue.
Les performeurs arpentent les rues de la capitale de la République Du Congo et provoquent soit l’admiration, soit la peur, soit les moqueries chez les spectateurs. Forcément politiques et engagées les performances ne laissent personne indifférent et surtout pas les autorités qui surveillent de près ces contestataires du système en place.
« Vivre à Kin, c’est déjà une performance. La ville est une exposition géante, l’Art est partout » a déclaré Freddy Tsimba, sculpteur reconnu à travers le monde et « père » spirituel des artistes performeurs de Kinshasa. La capitale congolaise nourrit ces créateurs, qui s’attachent à dénoncer le chaos qui règne à Kin. A travers des matériaux de récupération, des déchets abandonnés et dans des conditions extrêmes de pauvreté, ils puisent leur inspiration et leur matière première, pour mener un diagnostic social de la société congolaise et défier les pouvoirs en place.
La déambulation-performance, une défiance artistique du pouvoir kinois
Les œuvres des performeurs surgissent de la rue et « se nourrissent du chaos », comme le précise Freddy Tsimba. Vivre à Kinshasa serait, pour une partie de la population, une question de survie plutôt que de vie et c’est dans l’expression créative que les performeurs ont trouvé le meilleur des moyens pour porter la colère des populations et défier les autorités.
Comme Freddy Tsimba, certains artistes utilisent également des douilles de projectiles lors de leurs performances, afin d’alerter les esprits sur ce Congo perpétuellement gangrené par les armes.
Eddy Ekete, un des « hommes canettes », en déambulation
Outre Freddy Tsimba, Eddy Ekete, dit l’homme Canette, propose des déambulations dans la ville, dans son costume composé de centaines d’objets jetés sur la voie publique. En transformant le destin de ces déchets créés par l’Homme, il interpelle ses contemporains sur leur sort et sur une société congolaise forgée par les paradoxes.
Kongo Astronaut fait également partie de ces performeurs qui se produisent spontanément dans les rues de Kin : dans sa combinaison d’astronaute toute de matériaux recyclés, Kongo Astronaut déambule et tente d’effacer les réalités négatives, pour amener chacun à rêver un présent et un futur meilleurs. La Religion, très présente dans la société congolaise, n’est pas épargnée : Géraldine Tobé, peintre de 28 ans, transcende le traumatisme des « enfants sorciers », souvent torturés ou brûlés par les pasteurs lors d’horribles exorcismes, au travers de sa peinture, réalisée de nuit sous une tente, à la fumée d’une vieille lampe à huile ou d’une bougie.
Voir les œuvres disponibles de Géraldine Tobé
Kongo Astronaut en déambulation dans les rues de Kinshasa.
Enfin, certains performeurs puisent leur inspiration dans leurs racines, à travers les masques rituels qui, passés par le prisme de l’Art, deviennent objets symboles d’une identité et d’une existence niées par le pouvoir en place, ainsi qu’un retour aux sources élémentaires salvateur pour les kinois. Lors de certains concerts de rue, les musiciens du groupe KOKOKO ! se sont parés de masques qu’ils avaient fabriqués à partir d’éléments de récupération.
Pour les performeurs de Kinshasa, la performance est donc une issue salutaire à une réalité miséreuse d’une partie de la population kinoise. En amenant l’Art aux habitants de Kinshasa, en investissant les rues, ces artistes dénoncent les conditions d’une vie quotidienne faite de survie et d’un monde dans lequel l’Homme s’apparente finalement au déchet qu’il jette. Cependant, une notion fondamentale traverse l’ensemble de leurs créations, l’espoir : d’une prise de conscience collective, d’une main tendue par le politique et d’une échappatoire cathartique et artistique.
Pour aller plus loin :
Dossier de presse du film Système K, ici